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Le blog de Marie Kilian

24 janvier 2008

Chapitre 1

« Avoir un enfant, dit Jeanne en essayant de garder son calme. C'est bien de cela qu'il s'agit depuis deux ans! Il est clair qu'on n'y arrivera pas tout seul. Il faut que tu l'admettes. Alors pour te rendre les choses plus faciles, j'ai pris les devants. Nous avons rendez-vous cet après-midi chez Cleillant. C'est le spécialiste dont Anne-Lise avait entendu parler. »

Gauthier baissa la tête et le silence se prolongea. Jeanne ne souhaitait pas reprendre la parole. Elle avait dit ce qu'elle pensait, une fois de plus, et la déception encore vive de l’échec de leur dernière tentative pour avoir un bébé lui broyait le coeur. A lui de s'exprimer maintenant. Après tout, c'est lui qui freinait leur entrée en AMC, le service d’aide médical à la conception, depuis plusieurs mois, sans autre raison apparente que la gêne de croiser ses collègues du CNCN dans une situation qui en révélait sans doute trop sur leur intimité. Mais, de l'avis de Jeanne, s'il voulait un avenir pour leur couple, il faudrait en passer par là. Elle, elle voulait comprendre ce qui n'allait pas.

« Je ne comprends pas pourquoi tu as fait ça sans m'en parler... C'est tout de même une décision à prendre en couple, non?  Reprit-il finalement. Et puis toutes les études révèlent que notre cas n’a rien d’extraordinaire. Tu dois te faire à l’idée que nous ferons peut-être partie de ces nombreux couples qui n’ont pas d’enfant. Es-tu prête à toutes les contraintes qu’impose l’aide médicale ?

_ Oui, je pense que oui. Alors que toi, tu sembles résigné à ne pas fonder une famille ! Moi qui pensais que tu avais choisi ton secteur de recherches pour pouvoir aider les couples à avoir un enfant. Tous les autres mais pas nous, apparemment? Je voudrais vraiment que tu comprennes à quel point c'est important pour moi.

_ Tu ne trouves pas que tu dramatises un peu? répliqua Gauthier. Après tout nous sommes jeunes. J’ai lu encore ce matin dans le journal qu’une femme de 38 ans était tombée enceinte naturellement. Cela peut arriver.

_ En attendant, nous pourrions faire les premiers examens pour savoir ce qui cloche. Au moins pour me rassurer » lui proposa la jeune femme.

Elle se disait qu’une fois le pied dans l’engrenage, il deviendrait peut-être moins réticent. A bout d’argument Guillaume acquiesça :

« Bon, fais comme tu le sens… Je suivrai. »

La jeune femme lui sourit et l'embrassa, soulagée de n’avoir pas eu à lutter plus. Connaissant son compagnon, elle s'était attendue à plus d'éclats. Toute à son plaisir d'agir enfin pour son désir d'enfant et pressée d'entendre les réponses que la science avait à lui offrir, elle ne s'appesantit pas sur le manque d'enthousiasme de l'homme qui partageait sa vie.

Pourtant sa joie fut rapidement douchée.

Elle ne connaissait que de vue les locaux du CNCN où se trouvait la maternité depuis quelques années. Il lui était arrivé d’y déposer Gauthier certains matins, mais elle n’en avait jamais franchi les grilles. Aussi fut-elle immédiatement surprise par l’atmosphère oppressante qui y régnait. Quand le grand portail automatique se referma bruyamment derrière eux, un grand froid la saisit. Tout était plongé dans l’ombre des grands bâtiments pyramidaux, dont les nombreuses fenêtres fumées semblaient absorber la lumière et la chaleur. Tandis que le couple avançait vers l’entrée réservée aux patients, Jeanne remarqua que des caméras de surveillance suivaient leur progression. Elle se demanda pourquoi les gens désirant devenir parents nécessitaient autant de précautions.

A l’intérieur des bâtiments, l’atmosphère se réchauffait un peu grâce aux teintes colorées des murs des couloirs mais ils parurent si déserts et silencieux à la jeune femme que son malaise ne la quitta pas. Ici, pas de familles réjouies ou de cris d’enfants. Les soignants comme les patients marchaient en silence, rasant les murs propres en suivant les flèches qui indiquaient la direction à suivre. Jeanne pensa un moment au couloir de la mort de la nouvelle prison nationale de Paris. Elle espéra qu’elle ne marchait pas vers sa propre peine capitale. Et son cœur se mit à battre violemment de crainte anticipée. Comme Gauthier connaissait les locaux, ils n’eurent pas besoin de s’adresser à la secrétaire de l’accueil et Jeanne en fut soulagée car elle avait l’impression incompréhensible qu’elle n’avait pas le droit d’être ici et que la première personne qui se rendrait compte de leur intrusion les renverrait vers la sortie.

Le docteur Cleillant était un bel homme d'une cinquantaine d'année au visage aussi inexpressif que celui d'un mannequin. Il avait des yeux d'un bleu glacial et son accueil fut à l'avenant: aussi chaleureux qu'un iceberg. Il semblait d'ailleurs en vouloir particulièrement à Gautier à qui il ne serra même pas la main. Jeanne eut une petite pensée coupable devant le malaise tangible de son compagnon face à ce peu sympathique collègue. Le jeune homme n’osait d’ailleurs plus la regarder ni même lui parler depuis leur entrée dans les bâtiments du CNCN. C’est elle, qui avait pris sa main pour trouver un peu de réconfort dans une communion muette avec celui qu’elle aimait. Mais elle le sentait peu sûr de lui. Apparemment, le jeune chercheur n’approuvait toujours pas pleinement leur présence au service d’AMC.

Le médecin consultait quelques feuilles contenant les résultats des examens que le couple avait passés quelques jours plutôt dans un laboratoire du centre ville. Jeanne était un peu inquiète car elle n’en connaissait pas la teneur, le docteur Cleillant étant le premier à les avoir reçues, malgré les demandes de Gauthier auprès de ses collègues. Il n’y avait pas eu moyen de contourner le règlement.

« Depuis combien de temps tentez-vous d’avoir des enfants par relations sexuelles, avez-vous dit à ma secrétaire ? »

Jeanne rougit légèrement. Elle avait espéré qu’on en aurait fini avec les questions intimes pour passer à des sujets plus médicaux.

« Cela fait environ deux ans.

_ Compte tenu des chiffres actuels, c’est peu. Et vous êtes jeunes tous les deux en plus, sembla-t-il lui reprocher. Pourquoi vous êtes vous décidés à consulter ?

_ On m’avait dit que deux ans étaient un minimum, je ne voyais pas pourquoi attendre plus. J’espérais que vous pourriez nous apprendre de bonnes nouvelles.

_ Malheureusement, c’est de plus en plus rarement le cas pour les couples qui viennent ici. » Expliqua-t-il l’air légèrement désabusé.

Jeanne comprenait que dans ces conditions les médecins se blindent contre les déceptions qu’ils devaient infliger à leurs patients. Elle croisa les doigts, de plus en plus nerveuse.

_ En ce qui vous concerne, je crains d’avoir de très mauvaises nouvelles. »

Le monde de Jeanne s’écroula et elle sentit son sang se retirer de son visage.

« Vous faites malheureusement partie des 5% que la médecine moderne ne peut aider. Votre caryotype est tel, Madame, que vos enfants naîtraient avec d’inévitables malformations. Non seulement, nous refusons de prendre en charge de telles grossesses, souvent dangereuses pour la mère, mais en cas de conceptions naturelles, fort improbables, je vous rassure, nous vous recommanderions une interruption précoce de grossesse. Croyez bien que je comprends à quel point tout ceci peut-être dur pour vous, mais je préfère être franc plutôt que de vous laisser de faux espoirs. Votre mari pourra certainement vous confirmer ou vous expliquer tout cela. Prenez le temps de surmonter ces moments pénibles ensemble. De plus, le CNCN met à votre disposition une aide psychologique si vous en éprouvez le besoin… »

Le reste du laïus du docteur fut totalement perdu pour Jeanne dont la vie venait de sombrer dans un gouffre noir.

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5 janvier 2008

Prologue

Nous sommes dans une vaste salle entièrement blanche dans laquelle ne se trouve qu’un bureau. C'est un meuble d'informatique assez moderne. On pourrait même dire design. Intégralement en verre et en métal, les courbes du plateau s'opposant aux barres perpendiculaires que forment les pieds, il donne à la pièce quasi-nue une touche de sophistication étrange quand on sait que cette salle se trouve au coeur d'un centre hospitalier de province. Il s'agit peut-être d'un secrétariat ou du bureau d'un professeur, mais rien ne le laisse deviner, car la pièce est vide.

Ce qui semble le plus étonnant en ce lieu, c’est qu’il n’y ait pas de porte. Aucune fenêtre, pas le moindre interstice qui dissimulerait un passage secret dans les murs ou le sol : cette salle est totalement close. Si nous pouvions sortir, nous nous apercevrions que nous sommes au dernier étage d’un bâtiment très moderne construit en forme de pyramide. La pièce où nous nous trouvons en forme le sommet, un sommet imprenable puisqu’on ne peut y entrer.

Rien, donc, à l'exception du bureau et du solide fauteuil bleu monté sur roulettes qui lui tient compagnie. Le meuble supporte l’écran d’un PC tandis que le fauteuil semble attendre la personne qui viendra s’y asseoir pour observer l’ordinateur, toujours en fonctionnement, qui réchauffe légèrement l’atmosphère de cette pièce murée et produit un bourdonnement continu qui à la longue deviendrait désagréable. Mais à cet instant, il n’y a apparemment personne pour l’entendre. Le fauteuil, pourtant, tourne très lentement sur lui-même comme si un enfant invisible s’amusait à en faire un tourniquet accentuant encore le caractère étrange à cette pièce sans vie.

Sans vie ? Pas tout à fait. L’ordinateur, indifférent à toute présence humaine, vit sa vie d’appareil électrique. La machine, reliée par le net au CNCN, le centre national du contrôle des naissances, peut continuer automatiquement son travail. Ainsi, avec irrégularité, l’écran du PC laisse s’égrainer deux séries de nombres. Mais, tandis que la première colonne va en augmentant chaque jour un peu plus, la deuxième, à l’inverse, décroît avec lenteur, restant plusieurs semaines inchangée.

Justement, pendant que nous les observons, le compteur de la colonne de droite est passé de 15 532 à 15 533, et, fait beaucoup plus rare, l’autre nombre a changé également passant de 24 à 23.

Laissez-moi vous ramener cinq minutes auparavant vers ce moment de bonheur énorme, qui a modifié définitivement la vie d’un vieux couple qui ne croyait plus qu’une telle joie était encore possible, et qui a été aussitôt transformé en deux chiffres totalement anonymes et pourtant pleins de conséquences, sur l’écran d’une machine.

Aujourd’hui, 03 août 2037, à 16H42, est née la petite Nadia.

Son papa, un enseignant de l’un des grands centres de regroupement scolaire rural était encore au travail quand celui de la maman a commencé. Il n’a donc pas pu assister à l’accouchement qui s’est fait sous césarienne comme le recommandent la plupart des protocoles de Stew concernant les femmes enceintes depuis 2025. En effet, depuis que l’indice de fécondité est passé à moins d’un enfant par femme, toutes les précautions sont prises pour chaque grossesse.

Dans ce cas particulier, ce bébé n’était plus attendu car on avait détecté dans le caryotype des parents plusieurs aberrations chromosomiques pouvant entraîner de nombreuses malformations chez l’enfant à naître. Heureusement pour Nadia, la nature et ses hasards ont, pour une fois, repris leurs droits et on a pu constater dès la première échographie que tout allait bien pour l’embryon. Du fait de ce petit miracle, la toute nouvelle maman est âgée de 38 ans et une aide médicale s’est avérée nécessaire pour l’accouchement. Madame Rougeant était donc à l’hôpital depuis trois mois et aurait dû y rester encore quelques semaines. Seulement la petite Nadia en a décidé autrement.

Comme on le dit souvent, l’accouchement s’est passé sans aucun problème : la maman et le bébé vont bien. Pour la mère ce n’a été qu’une bonne sieste, pas très réparatrice, certes, mais avec le plus beau des cadeaux à l’arrivée. Ainsi, elle n’a pas pu assister aux toutes premières minutes de son enfant, pas plus que l’heureux papa et ils n’ont pas vu l’obstétricien tendre l’enfant à la sage-femme qui, après l’avoir nettoyée, l’a elle-même passé au pédiatre. Celui-ci, après avoir vérifié son dossier, a piqué sous le lobe de l’oreille droite de Nadia, pour introduire près de l’hypophyse une micropuce numérique. Cette très courte opération a provoqué les premiers vagissements du nouveau-né et c’est cette musique, émouvante les premiers jours, qui a tiré la nouvelle maman de son inconscience. Elle a alors pu prendre sa petite fille dans ses bras et ensemble, elles ont attendu l’arrivée de l’homme de la famille.

Retournons au sommet des bâtiments de la maternité, là où se trouve la pièce vide et le bureau glacial. Le fauteuil, qui, jusque là, tournait sur lui-même, s’est immobilisé face à l’écran de l’ordinateur comme si un observateur invisible scrutait, comme nous, l’écran pour y observer l’évolution des nombres.

Au moment où le pédiatre a introduit la micropuce à la base du cou du bébé à l’aide d’un petit appareil à mi-chemin entre une piqûre et un thermomètre digital, et que l’implant sophistiqué s’est mis en fonctionnement, la colonne de droite, sur l’écran, a augmenté. C’est ce qu’on appelle, avec cynisme, le « contrôle des naissances » en 2027, en référence à cette époque où les femmes ont pu choisir les moments où elles ne voulaient pas d’enfant.

En cette époque troublée, c’est l’Etat qui contrôle la majorité des naissances. Beaucoup de femmes, comme Madame Rougeant, ayant recours au savoir des médecins pour réussir à avoir un enfant et surtout un enfant parfait, les grossesses et les naissances naturelles ne sont plus la norme.

Ce que les parents de Nadia ne savent pas, comme tous les autres parents de la maternité et du reste de la France, c’est que pour certaines femmes, celles de moins en moins nombreuses qui sont recensées dans la deuxième colonne, la médecine contrôle aussi la fertilité. Et grâce à la micropuce, le CNCN peut accomplir sa véritable tâche : empêcher des femmes, comme Madame Rougeant de transmettre leur don à leurs enfants.

5 janvier 2008

Bonjour

Bonjour à vous chers lecteurs. Vous allez pouvoir découvrir au fur et à mesure de mon écriture, l’avancement de mon livre. Je suis ouverte à toutes questions en ce qui concerne l'histoire ou les personnages qui y figurent. Bonne lecture à vous tous !

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